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27/07/2006

chroniques d'une guerre annoncée

Iran 79 

tapis rouge pour l'islamisme ? 

 

 

Nous sommes en plein début de la grande révolution iranienne, un grand reporter du Journal Libération couvre l'évènement de l'intérieur, nous sommes à la fin des années 70.

Ce reporter (prix Albert Londres) directeur de la rédaction du grand quotidien, est actuellement employé sur une chaîne de radio nationale. 

Lisez un extrait du livre, tous les éléments du chaudron dans lequel se trouve actuellement la planète étaient déjà là réunis en Iran-1979 :

"feuilleton à suivre"

milices chiites 

Irano nox extrait 

p 24

J'avais suivi une manifestation monstre, indénombrable, la plus grande, me disait-on, depuis le début, presque un an déjà, de ces marches qui se succédaient au rythme des quarante jours du deuil chiite. Les manifestants criaient : «Mort au chah» et de plus en plus : «Mort à Bakhtiar», le dernier Premier ministre de l'ancien régime qui, fort de son passé d'opposant et de ses multiples séjours en prison, avait cru qu'il pourrait être le Premier du nouveau et le maître d'œuvre du changement.
Ce jour-là l'armée n'avait pas tiré. Dix jours plus tard, elle prenait une sanglante revanche devant l'université: une trentaine de morts abattus au hasard des tireurs cachés sur les toits.
Des manifestants aux mains nues face aux mitrailleuses...
Non, ce n'était pas un cliché de la propagande révolutionnaire.
La foule, soudain dispersée par les rafales, refluait en panique dans les rues adjacentes pour revenir presque aussi vite. Des milliers de mains se précipitaient sur les morts et les blessés et plongeaient dans le sang avant de s'élever vers le ciel tandis qu'une voix unanime, monstrueuse, clamait: «Mort au chah !
Vive Khomeiny ! Dieu est le plus grand! » Allah Akbar! Comment oublier ce cri modulé à l'infini depuis les toits et les terrasses de Téhéran, du nord au sud, jeté en défi au couvre-feu et à la loi martiale sur un simple mot d'ordre venu des mosquées?

Je me souviens d'un soir glacé de janvier où je m'étais attardé chez des amis, militants de la gauche marxiste, au-delà des vingt et une heures fatidiques après quoi toute circulation était interdite.
A dix heures nous étions montés ensemble sur la terrasse.
Le cri sacré avait commencé au loin, nous l'entendions à peine, puis un autre avait répondu, puis un autre et encore un autre.
Bientôt la nuit ne fut plus qu'une immense chambre d'écho.
Agrippés à la rambarde, mes amis criaient à leur tour, à pleine gorge, les yeux au ciel.
« Écoute, m'avait dit Yasmine, l'architecte, écoute bien, petit Français, c'est la musique de notre révolution. Elle est belle comme le chant des loups. » Nous avions parlé toute la nuit. Ce fut ma première leçon de révolution iranienne. 

Le fondateur du parti communiste chinois en Europe Chou en Lai  et l'ex-nazi grand mufti de Jérusalem.  

«Si tu t'étonnes d'entendre des marxistes crier : Allah Akbar J, c'est que tu n'as rien compris. Ce n'est pas un slogan religieux, c'est le cri d'un peuple. Nous aurions pu ânonner des mots d'ordre marxistes pendant un siècle, multiplier les journaux et les tracts clandestins, affiner nos analyses ou, comme les plus courageux d'entre nous, aller flinguer quelques savaki, ou poser un pain de plastic devant je ne sais quel bureau impérial : le chah serait encore là et il y serait pour longtemps.
« Depuis dix ans des centaines de militants des Fedayin du peuple ou des Modjahedin du peuple se sont fait arrêter, torturer, mutiler, fusiller, quand ils n'ont pas été simplement massacrés au coin d'une rue. Le peuple n'a pas bougé. Ce n'était pas de l'indifférence mais de la peur. Il faut avoir vécu toutes ces années en Iran pour savoir à quel point la peur peut corrompre un peuple, transformer un pauvre bougre en mouchard de la Savak, un militant en loque humaine et ton voisin en ennemi.
« La plus belle victoire de la révolution ce n'est pas le départ du chah, ni celui de Bakhtiar qui ne va pas tarder : ce sont ces millions de gens à Machhad comme à Qazvin, à Ispahan comme à Tabriz ou à Téhéran, qui descendent dans la rue au mépris de l'armée ou de la police. Ce sont ceux qui crient :
Allah Akbar, comme ce soir, sans se demander si une patrouille ne va pas entrer chez eux et tirer dans le tas. Ce peuple n'a plus peur, comprends-tu? Voilà la vraie victoire. Et c'est à Khomeiny que nous la devons.
«C'est lui qui depuis quinze ans incarne pour le peuple la résistance au tyran. Personne ne connaissait ce nom en Europe. Ici, il circulait dans toutes les mosquées. Ses cassettes enregistrées à Nadjaf en Irak, et rapportée» par des messagers clandestins, étaient écoutées partout. Les prières du vendredi étaient des meetings politiques alors que tous les meetings étaient interdits. L'Islam iranien était devenu au fil des siècles une religion de soumission et d'attente. Il fallait se soumettre à l'ordre établi en attendant le Messie, le retour sur terre du douzième Imam.
« Rares sont les grands dignitaires religieux comme l'ayatollah Taleghani qui n'ont pas composé avec l'ancien régime, même si aujourd'hui ils se rangent tous derrière Khomeiny. La vieille tradition chiite du ketman, la restriction mentale, instituée dans les temps anciens pour protéger les musulmans chiites des persécutions du califat, a toujours été un excellent 

p35
de l'Achoura, la plus grande manifestation du deuil chiite qui commémore le massacre à Karbala, pendant le mois de moharram de l'an 680, de l'imam Hossein et de ses partisans.
Sur les plates-formes croulantes d'énormes camions, des grappes noires nous doublaient. Au fur et à mesure que nous approchions de l'ambassade des cortèges nous accompagnaient, de plus en plus nombreux, de femmes enveloppées dans les tchadors ou d'hommes en chemise et pantalon noirs se flagellant le dos avec des fouets à manche court terminés par des chaînettes de laiton.
Sur l'avenue Taleghani, une foule compacte bouchait les deux horizons, masse noire surmontée de drapeaux noirs d'où émergeaient çà et là quelques portraits de l'ayatollah Khomeiny ou de l'imam Ali, le cousin du Prophète Mohammad et le fondateur de l'Islam chiite.
Abbas plongea dans le cortège. Je marchais à côté de lui. Il se mit à crier avec les autres. Cela ressemblait encore à une manifestation comme j'en avais vu des dizaines. Soudain les cris se firent plus stridents. « Moharram, moharram ! », hurlait la foule. « Hossein, Hossein! » Des hommes commencèrent à pleurer autour de moi à longs sanglots rauques. «Hossein, Hossein!» Ils se frappaient la poitrine en cadence. La foule n'était plus qu'une énorme douleur, le chœur tragique d'un drame qui mêlait les siècles.
Jimmy Carter se confondait avec le calife Yazid, le traître, celui qui fit mourir Hossein de mort ignominieuse, et toute la foule se rassemblait autour de Hossein pour le sauver de cette mort certaine, elle offrait ses poitrines et ses poings, invoquait le Dieu unique pour qu'il vienne au secours de son meilleur fils, l'Amérique tout entière envahissait Karbala, pour anéantir les témoins de la vraie foi. « Hossein, Hossein! Mort à l'Amérique.» J'aperçus Abbas à quelques mètres de moi. Lui ne me voyait plus. Les yeux levés vers le ciel, deux filets gris de larmes et de poussière sur les joues, il se frappait la poitrine. Plus rien à cette minute ne permettait de le distinguer de ses compagnons. Il était avec eux martyr à Karbala, torturé par la Savak, assassiné dans la Kaaba de La Mecque, pleurant les innombrables morts d'un peuple bafoué, spolié, jeté depuis quatorze siècles dans un monde hostile dont seul le douzième Imam pourra le délivrer au jour de la Résurrection.
A l'approche de l'ambassade un seul cri submergea tout, un raz de marée rugissant, démesuré : « Mort à l'Amérique! » 


«Mort à l'Amérique! JO, hurlait Abbas, extatique, les deux bras jetés vers la muraille derrière laquelle une cinquantaine de femmes et d'hommes entendaient ce cri de mort répercuté par des dizaines de haut-parleurs, à eux seuls destiné. Je décidai de décrocher.
Des manifestants refluaient dans le même sens. On eût cherché en vain sur leurs visages les traces de l'hystérie précédente.
« Marc! Hé, le Français. » Abbas trottinait derrière moi. «Je t'avais perdu, s'excusa-t-il. Ça fait bien longtemps que je n'avais vu tant de monde. » Ce fut la seule allusion qu'il fit au défilé.
A ce moment je n'avais plus aucune envie de le voir. Je n'avais pas le courage de lui dire ce que je pensais. Que je ne croyais pas aux vertus de la foule. Que les manipulations de masse étaient une vieille histoire qui n'avait rien d'islamique et que le péplum de Téhéran ressemblait à du déjà-vu. Je boudais en silence. J'avais mal aux pieds et la tête vide. Autour de nous les manifestants étaient devenus de paisibles promeneurs du dimanche.
Le supermarket de l'avenue Taleghani avait ouvert ses portes. Une douzaine de clients y poussaient des caddies chargés de boîtes d'ananas et de maïs, des cartons de lessive et des bombes à raser made in America. Le kiosque voisin affichait le Times de Londres et l'édition parisienne de l'International Herald Tribune.
Quelques mètres plus loin, au coin de l'avenue Hafez, le plus grand drugstore de Téhéran accueillait une clientèle élégante qui croisait sur le pas de la porte les hommes hirsutes et les femmes en tchador revenant de l'ambassade, sans la moindre hostilité de part et d'autre. Sur un parking trois miliciens faisaient leur prière. Abbas souriait.
« Sais-tu quelle est la différence entre le régime du chah et celui de Khomeyni ? » .
Je grommelai que non mais qu'il n'allait pas tarder à me l'apprendre. .
« Eh bien voilà : avant les gens sortaient pour boire et rentraient chez eux pour prier, maintenant c'est pareil sauf que c'est le contraire. C'est une blague, mais elle est drôle, non?
Abbas, qu'est-ce que tu penses vraiment?
Vraiment de quoi ?
De tout ça.
Je pense que l'Amérique n'a que ce qu'elle mérite. Que le droit international n'est qu'une hypocrisie de merde et que je n'ai rien à foutre de leurs putains d'otages.
- Ce sont des mots. Je voudrais savoir ce que pense un type comme toi qui a vécu en Amérique. Tu sais que l'Amérique ce n'est pas le diable. Tu ne peux pas penser ça. Je t'ai vu dans le défilé. Tu faisais comme tous les autres. Pourtant tu n'es pas l'un d'eux. Ou peut-être que si, après tout. Je me demande si tout le monde ne fait pas semblant. Comme toi. A deux cents mètres d'ici, on porte le deuil de Hossein et dans cette rue on se balade comme si rien ne s'était passé depuis dix ans.
- Ça, c'est l'Iran. Nous avons différents visages, mais personne ne" fait semblant comme tu dis. Si tu veux vraiment savoir, je pense que tu n'as encore rien compris à ce qui se passe en Iran. » Nous étions arrivés à l'hôtel. J'étais passablement déprimé.
« Crois-tu que Carter va extrader le chah? me demanda brusquement Abbas.
- Non, je ne crois pas. Pourquoi me poses-tu la question ?
- Parce que je pensais comme toi. Mais je voulais avoir ton avis.» Abbas prit le temps de la réflexion avant d'ajouter :
« Mais, s'ils ne rendent pas le chah, que vont devenir les otages?
- Je n'en sais pas plus que toi. Peut-être seront-ils jugés.
Peut-être qu'un arrangement interviendra.
- Je ne crois pas que les étudiants pourraient les tuer, dit Abbas. " Moi non plus.
- Alors quoi ?
- Alors rien. Tu as raison, je crois que je n'ai pas compris grand-chose.
- Un jour je t'emmènerai dans le sud », promit Abbas.

Il tint sa promesse. Ce n'était pas ma première incursion au-delà de l'invisible frontière qui sépare Téhéran de ses bas-fonds. Je l'avais franchie une première fois au mois de janvier quand les foules en colère avaient mis le feu au quartier des bordels. J'y étais revenu une semaine après. Le commerce avait repris dans les ruines calcinées traversées par des ruelles boueuses. Un « comité» local m'avait fermement reconduit à mon taxi.
«Tu vas voir, dit Abbas, tu vas commencer à comprendre. »


Il m'entraînait dans une ruelle populeuse. Des gosses jouaient au foot pieds nus sur la chaussée sous le regard indifférent d'hommes au visage émacié et terreux comme des cadavres.
« La faim ? hasardai-je.
- Non, l'héroïne. Attends. » Sur notre droite s'ouvrait une sorte d'impasse. Une centaine d'hommes se tenant accroupis sur leurs talons, comme pour la prière, la tête couverte d'un voile blanc. Je n'osais pas m'approcher.
« Viens, avec moi tu ne crains rien. » Sous le voile les hommes aspiraient par un rouleau de carton les exhalaisons brunes dégagées de la poudre qu'ils chauffaient avec une bougie ou un tortillon de papier, sur un papier argenté.
« C'est ainsi qu'on consomme l'héroïne en Iran, commenta Abbas. Elle est grise, très pure, à soixante-dix pour cent, et mal raffinée. Le malheureux qui se l'injecterait dans les veines n'y survivrait pas. Alors on la respire, sous un voile, pour ne rien perdre. Regarde» Il me montrait un homme sans âge qui avait levé les yeux vers nous. .
« Tu vois la pièce de monnaie devant ses dents. Sans. elle il n'aurait plus qu'un trou au milieu de la bouche.
Quel âge a-t-il ?
Combien lui donnes-tu ?
Soixante, peut-être plus.
Tu veux que je lui demande?
Non. » Abbas se pencha vers l'homme. L'autre bougonna.
« Il m'a demandé si j'avais de la drogue et il m'a dit d'aller me faire foutre. Je suis sûr qu'il a à peine plus de trente ans. » Trois ruelles plus loin Abbas s'arrêta devant une soupente sombre qu'éclairait mal une lampe à pétrole. De plus près on apercevait une famille travaillant sur des machines à coudre.
« Tu sais ce qu'ils font ?
- Ils cousent, de toute évidence.
- Ils fabriquent des blue-jeans. Le bazar les leur achètera à des prix de misère et les revendra dix fois plus cher sous des marques américaines. Tu comprends mieux maintenant ?
- Je comprends que le sud est pauvre et le nord riche. Que la drogue coupe la faim et détruit les hommes. C'est tragique mais cela n'explique rien de plus. 


- Ce n'est pas ça que je veux dire. Les gens que tu vois ici sont les mêmes qui manifestent devant l'ambassade. La révolution, ce sont eux. Les cortèges qui n'en finissent pas, ce sont eux. Quand on leur parle des otages, ils ne pensent pas à de grandes théories internationales. Ils sentent enfin qu'ils peuvent se venger.
- Se venger de quoi ?
- Du rêve américain. Pas du rêve des Américains en Iran.
De leur rêve à eux. Tu sais à quoi rêve un type dans un bidonville? Tu as vu comment ils s'habillent ? Comment ils conduisent les voitures et quelles voitures on achète ici quand on n'a pas de quoi payer le loyer? Tu entends la musique qui gueule dans les boutiques? Je suis sûr qu'on vend plus de transistors ici qu'à Paris. Tu sais pourquoi? Tu sais que presque tout le monde a la télé et tu sais ce que la télé montrait à longueur de soirée? Des films américains, des feuilletons américains, des flics américains, des voyous américains, des types qui gagnent, partout, toujours, à la force du poing ou du revolver. Voilà ce dont on rêve ici. Les gens sont peut-être bornés, analphabètes et ils ne connaissent rien du monde, mais ils savent au moins une chose, c'est qu'on les a bernés. Qu'ils sont des paumés pour toujours, que l'Amérique s'est foutue de leur gueule. Là-bas, tout est plus beau, plus fort, tout marche, tout réussit. Ici, tout pourrit, tout crève. Et voilà que les plus paumés d'entre les paumés tiennent l'Amérique à leur merci. Tu as vu le slogan sur l'ambassade: "L'Amérique ne peut rien contre nous." Ils le pensent tous. Et Khomeyni pense avec eux. Khomeyni a chassé le chah et mis Carter à genoux. Voilà pourquoi ils le suivent.
- C'est donc cela selon toi la révolution islamique?
- Non. Mais sans ça n n'y aurait pas de révolution. L'Islam c'est l'enveloppe et le principe. Pendant des années la religion était le recours des pauvres. Ils avaient fini par admettre qu'ils devaient vivre dans la merde en attendant le douzième Imam.
- Et Khomeiny est arrivé.
- Exact. Khomeiny leur a dit que Dieu n'avait pas demandé de se résigner mais de se battre. Il a dit qu'avant le paradis il y avait la justice et que trente-sept millions de musulmans avaient les moyens d'imposer la justice. Que ceux qui ne le suivraient pas dans cette voie ne valaient pas mieux que les habitants de Koufa, ceux qui ont trahi l'imam Hossein. C'était ça le cortège de tout à l'heure.
Admettons. Où ça nous mène?
- Tu as une meilleure idée? Personne ne sait ce que va



devenir l'Iran. Khomeyni a montré que l'Islam pouvait abattre un régime et défier la première puissance du monde. Il a gagné deux fois. La troisième bataille sera plus dure. Il faudra prouver que l'Islam est capable de rebâtir une société et pas seulement de casser le rêve américain. S'il réussit, il aura accompli l'un des trucs les plus formidables de tous les siècles.
- Abbas, Khomeyni n'est pas seul. Il y a des hommes autour, des partis, des bagarres pour le pouvoir. Tes paumés du sud crois-tu qu'ils ont vraiment leur mot à dire?
- Ça, journaliste, c'est de la politique. C'est ton affaire. Tu en sais bien plus que moi sur le sujet. Et le sujet ne m'intéresse pas.
- Qu'est-ce qui t'intéresse?
- ça.» Il désigna les baraques qui nous entouraient. « C'est vivre là. Te trompe pas: je t'ai dit la vérité à propos de la politique. Je ne suis pas venu aider les pauvres. Et si tu veux tout savoir, je ne suis même pas musulman. Si j'étais resté chez moi, à Chemiran, tu sais ce que c'est Chemiran ?
- Les beaux quartiers.
- Oui. Ou si j'étais retourné à l'université, aujourd'hui je serais FedaYin ou Modjahedin, ou n'importe quoi. Je gueulerais contre les mollâs, contre leur bêtise, contre leurs règles stupides. Ou bien je fabriquerais des théories à la mords-moile-nœud sur l'Islam et la révolution. Ici je me fous de tout ça.
Si j'ai envie de boire un coup je sais où trouver de l'alcool, si je veux fumer une pipe, j'achète de l'opium au coin de la rue. Je ne sais pas ce qui va se passer. Mais j'ai envie que ça se passe ici. Je veux que Khomeiny réussisse.
- Si ça rate?
- Malheur à nous. Nous aurons et les mollâs et les Américains. Ou les Russes. Ce sera mille fois pire qu'avant. Mais t'inquiète pas, ce n'est pas fini.
- Autrement dit, une tempête de merde se prépare. .
- Très juste. Tu commences à piger. Tu vas écrire ça dans ton journal?
- Ce n'est pas de moi mais de Norman Mailer, un Américain.
- Ouais, je connais.. Ils sont formidables les Américains. Ils savent toujours tout et ils ne comprennent jamais rien. » 


n'eus même pas la peine de remercier Abbas. Je partis le lendemain pour le Kurdistan en guerre. Et puis il y eut les émeutes de Tabriz. Je replongeai dans la frénésie médiatique. L'Iran n'était plus que le décor d'une tragédie qui se jouait entre Paris et ma chambre d'hôtel. La révolution islamique lassait le monde. .
J'avais connu ça trois ans plus tôt à Beyrouth. Les feuillets arrachés aux pannes de télex dans une ville livrée à sa folie meurtrière et qui tombaient à Paris dans des bureaux incrédules et sourds.
Un an de guerre civile n'est plus un événement que pour ceux qui la font et la subissent. Le Kurdistan, Tabriz, les otages, il n'y a pas que ça dans la vie, me disait-on de Paris, gentiment, comme on parle à un malade.
Quand je revins à Téhéran, à la veille de Noël, j'annonçai que j'arrêtais d'écrire pendant quelques jours pour une grande enquête dans le sud de la ville. Serge July trouva l'idée excellente. Probablement meilleure encore était la nouvelle qu'il échapperait au moins quelque temps à mes incassables six feuillets quotidiens.
Les abords de l'ambassade étaient presque déserts. Le froid avait chassé les marchands, le temps avait lassé les marcheurs.
Abbas avait disparu.
Je me mis à arpenter le sud. Je pris tous les autobus possibles, 'de quartiers en quartiers, profitant de l'impériale pour me mettre les paysages en tête. Et je marchai. Interminablement. Trois jours durant j'allais parcourir des ruelles de plus en plus sordides, descendant chaque fois d'un degré dans la misère, du pâté d'immeubles délabrés aux bicoques en bois ouvertes à tout vent, des allées de cubes de briques aux bidonvilles, pour finir au milieu de la décharge publique dans un campement infra-humain coincé entre des usines désaffectées et une voie de chemin de fer.
Des gosses dormaient avec les chèvres, boursouflés par les fièvres et la faim. Les habitants me regardaient comme un martien ou un fantôme. Faute de pouvoir parler, j'essayais mon misérable sabir: « Français, French, faransavi, khabarnegar (journaliste) faransavi, Neauphle-Ie-Château...» Sans résultat. Sauf parfois l'écho d'un sourire. Ils étaient loin les doux rêves de mon ami Ali, plus lointaines encore les exaltations romanesques de Yasmine. Abbas avait vu juste. C'est ici qu'il fallait comprendre. .
Mais comprendre quoi? Comment l'Islam avait fait sauter le couvercle de cette poubelle et l'avait transformée en une 

p42

Iran o Nox

énorme machine à fabriquer des anticorps ? Mais quel rapport avec l'Islam, avec les proclamations vertueuses des dignes vieillards de Qom ou de Machhad, les deux villes saintes ? Ce que j'apercevais à travers ce morceau d'Iran insupportable et pestilentiel ne ressemblait guère à l'aube de l'âge d'or du Prophète Mohammad. L'autre Iran? La vérité de l'Iran? Ou bien le nôtre. L'autre face de l'Occident. La face cachée, honteuse, la zone, rejetée à six mille kilomètres de la métropole. Je pensai à haute voix : ici l'Amérique a vraiment gagné en Iran.
Mais c'est la seule victoire qu'elle ne pourra jamais revendiquer.
J'avais rempli un carnet de notes. Je ne publierai jamais l'article. J'en écrivis plusieurs versions qui hésitaient entre du sous-Zola et de la parodie de Prantz Fanon. La phrase clé me manquait. Quoi prédire d'autre qu'une tempête de merde?
Khomeiny n'avait pas encore lancé la troisième révolution. Je gardai les papiers dans un tiroir.

 

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